Préambule & positionnement

Comprendre ses données et savoir les utiliser, définir une stratégie de conversation avec les publics qui prenne soin de leur attention et soit plus efficace économiquement, bâtir des outils de travail et de pilotage réellement utiles et mis au service d'une intention clarifiée... Les objectifs d'une formation en data literacy sont nombreux. L'ambition de cette plateforme est de rassembler des ressources et de proposer des orientations stratégiques pour des institutions culturelles plus fortes dans un monde numérique où les pratiques culturelles sont de plus en plus digitalisées.

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Pourquoi concevoir une plateforme d’autoformation à la gestion de la donnée dans le spectacle vivant ?

Cette plateforme s’adresse à tous les membres d’institutions culturelles travaillant de près ou de loin sur les questions de développement et de fidélisation des publics. Elle vise donc simultanément les directions et les services administratifs et juridiques, les services billetterie et les équipes communication, ainsi que celles en charge des relations avec le public. Les partenaires du projet européen Prospero Extended Theatre, à l’origine de cette publication, ont souhaité proposer, dans le cadre de leur projet européen, un outil pour aider celles et ceux ayant la responsabilité de définir et de mettre en œuvre les stratégies de public. Avec cette ressource, elles pourront maîtriser l’éventail des enjeux, des applications, et des possibilités induites par l’exploitation des données dans le contexte du spectacle vivant. 

Le concept de data literacy est défini comme la « capacité d’accéder, d’interpréter, d’évaluer, de gérer, de manipuler et d’utiliser de manière critique et éthique les données (Calzada-Prado et Marzal, 2013) grâce à une connaissance des caractéristiques de la donnée, de son cycle de vie et des différents impacts engendrés par son usage, notamment en termes de sécurité et de protection de la vie privée » (Verdi, 2023).

Without data, you’re just another person with an opinion

Edwards DemingStatisticien

« Si le terme data ou données fait depuis longtemps partie du vocabulaire des professionnels du spectacle vivant, c’est de façon inégale et souvent avec beaucoup d’incompréhension vis-à-vis de ses enjeux » rappelait Anne Le Gall, cofondatrice et déléguée générale du TMNlab lors des rencontres TMNlab 2022. Il est nécessaire de se former pour développer des usages responsables, en conformité avec la loi et qui servent efficacement le projet culturel de l’établissement. C'est pourquoi nous proposons cet espace digital dont nous espérons qu’il permettra de monter en compétence selon ses besoins propres, sa maîtrise initiale des enjeux - et sa curiosité.

Se former à la Data literacy, c’est politique, et économique

Toujours selon Ugo Verdi (2023), cette acculturation aux données doit permettre de former des « lettrés des données » (data literate), soit des personnes « comprenant, expliquant et documentant l’utilité et les limites des données en devenant un consommateur de données critique, capable de gérer ses traces numériques, de trouver du sens dans la donnée et de prendre des décisions basées celle-ci ». Si le ou la Data Literate n’est pas considéré comme un expert technique, il comprend en revanche les enjeux des données et possède une certaine expertise dans leur manipulation.

Dans le secteur culturel, l’attitude des professionnels à l’égard des données semble avoir fortement évolué récemment. Selon Julie Knibbe (2023) « S’ils ont tout d’abord manifesté une certaine défiance devant ces nouvelles méthodes de travail, ils comprennent de mieux en mieux la valeur qu’ils peuvent tirer de l’exploitation des données pour les assister. Les débats consistant à opposer des approches intuitives (où la qualité artistique prime) à des approches fondées avant tout sur les données (data-driven) sont de moins en moins nombreux, au fur et à mesure que la maturité sur le sujet se développe. » L’autrice souligne également les défis auxquels le spectacle vivant est confronté, « liés à la propriété et au partage de données entre acteurs, et aux problématiques techniques, politiques et réglementaires qui y sont associées, comme la protection des données personnelles », qui ne font que renforcer l’impérieux besoin de montée en compétence du secteur.

Au regard de la numérisation quasi-totale de notre monde, il est plus que temps que les professionnels s’emparent de ces sujets. Lorsqu’en 2000, un quart des informations consignées dans le monde existaient au format numérique, on était passé à 98% en 2013. Ces espaces numériques sont devenus des espaces de socialisation pour une large majorité de citoyennes et citoyens, et ce bien au-delà des frontières que les médias peinent dorénavant à franchir dans certaines couches de la population (voir à ce sujet la fiche « les pratiques culturelles de plus en plus numérisées ?). Pour des projets culturels de service public dont l’enjeu est de toucher le public le plus vaste possible, ne pas investir ces espaces reviendrait à faillir à sa mission. En outre, ces données représentent un levier de commercialisation culturelle important. Comme le stipule le Diagnostic Compétences et métiers d’avenir CUNUCO LAB produit par le TMNlab et Hacnum, « L’explosion du volume de données produites, couplée à l’amélioration des technologies dans la collecte et le traitement massif des données, constitue une opportunité pour les structures culturelles de faire des données un levier stratégique dans l’acquisition, la rétention et la possible monétisation de leurs audiences ».

Plus aucun projet ne se monte sans une stratégie de communication axée sur les contenus et adaptée aux questions numériques et aux réseaux sociaux

Claire AndriesDirection et accompagnement de projets culturels et artistiques

L’autre objectif poursuivi par cette plateforme est de permettre aux opérateurs culturels de se former en autonomie, et de développer une compétence émancipée de l’intervention de leurs fournisseurs ou des éditeurs de logiciels. “Lorsque ces données sont collectées, les professionnels du secteur rencontrent beaucoup de difficultés pour y accéder et les interpréter” (Knibbe, 2023), c’est pourquoi les professionnels culturels doivent développer leurs propres compétences en matière de gestion des données sans dépendre de leur entourage de fournisseurs de service et prestataires de billetterie, de CRM ou de marketing. Ce temps investi lutte contre ce que Bernard Stiegler nommait "prolétarisation généralisée", c’est-à-dire “la destruction du savoir sous toutes ses formes”, notamment les savoir-faire des travailleurs, qu’il met en lien avec “le développement anarchique et sauvage (c’est-à-dire ultra-libéral)” de la numérisation des métiers et l’automatisation massive de procédés. (Stiegler, 2015, P31-32). 

Dotées d’une meilleure compréhension des enjeux de leur action, les équipes sauront équilibrer le rapport de force avec les prestataires maîtrisant ces questions sur le plan technique, mais qui ne partagent pas toujours la même vision de leur usage. Ainsi outillées, elles pourront collaborer de manière plus égale avec leurs partenaires.

Perspective éthique et écologique sur le marketing culturel et la gestion de données

S’intéresser au marketing culturel et à son outillage numérique, c’est aussi se trouver confronté à de vastes questions éthiques et écologiques. En effet, les technologies et services qui composent l’outillage des équipes marketing peuvent susciter des réserves, voir des dilemmes, tant leurs principes et effets sur la société sont parfois opposés aux principes et valeurs défendus par le spectacle vivant.

Un état des lieux et un enjeu de positionnement

Cela touche par exemple au Ad-exchange, ce marché boursier virtuel où les annonceurs en quête d’espace publicitaire numérique achètent de l’espace sur les sites correspondant à leurs besoins d’audience, à un prix variable dicté par la logique de l’offre et la demande (voir la fiche dédiée aux techniques de publicité en ligne). 

C’est également le cas pour les nombreuses intelligences artificielles génératives qui ne quittent pas le débat public depuis leur arrivée sur le marché, et font l’objet de très nombreuses recherches quant à leurs impacts sociaux et environnementaux (voir la fiche dédiée).  

C’est enfin le cas avec le débat nourri qui intervient pendant l’écriture de ces lignes et qui concerne cette fois-ci les réseaux sociaux. En effet, l’abandon des politiques de modération annoncées par la société Meta (Facebook et Instagram) et par le réseau X a poussé de nombreux acteurs médiatiques, culturels, universitaires à quitter ces plateformes. Ce débat touche jusqu’aux créateurs de contenus, pourtant dépendants de ces espaces sociaux, ainsi que le monde de la communication institutionnelle. Ces plateformes, si elles ont permis l’expression de soulèvements populaires comme les Printemps Arabes, ont aussi contribué à des phénomènes sociaux délétères et profonds.

S’agissant des équipements culturels, les choix sont cornéliens : est-il possible de remplir son rôle de démocratisation en quittant ces plateformes sociales ? Ne vaudrait-il pas mieux apprendre à en maîtriser les codes afin de continuer à alimenter un espace social où se nouent les pratiques culturelles de tant d’individus ? Faut-il se priver de la possibilité de toucher ou fidéliser un public plus vaste grâce aux possibilités offertes par le Ad-exchange ? Ou de dégager un précieux temps à ses équipes en maîtrisant les technologies de l’IA générative ?

Une approche par la connaissance et l'attention

L’approche que nous défendons dans cette plateforme est celle portée par le TMNlab. Cette communauté de professionnels, dont l’équipe salariée a assuré l’écriture de ce projet, défend au quotidien un numérique « situé » et une approche encapacitante de la transformation numérique, sociétale et technologique. Sans jamais verser dans le technocentrisme, nous mettons ici les outils et techniques au service des projets culturels en prenant pleinement en compte la réalité des acteurs qui les portent, et des publics. 

C’est pourquoi nous ne préconiserons pas le recours ou l’abandon de tel ou tel outil, mais ambitionnons de vous livrer les clefs vous permettant de faire des choix éclairés. Nous abordons la connaissance technique depuis le sens donné à sa maîtrise : il s’agit de rendre possible un usage responsable de la donnée, de la manière la plus autonome possible, au service du projet culturel. 

Nous proposons également une forme de data-sobriété consistant à mobiliser la donnée au plus près des besoins réels, pour évaluer, objectiver les perceptions et choix, se décentrer, démonter nos biais. Et ce dans un même but toujours renouvelé : toucher le public le plus vaste possible, et assurer la découvrabilité de vos projets culturels. Tout en prenant soin de vos équipes par la bonne formulation des objectifs et une meilleure allocation des ressources.

Notre approche contient une certitude : Pour prendre des décisions éclairées à l’égard de ces outils, en dessiner un usage sobre et responsable, il est nécessaire de s’y former ! Sans jamais verser dans le technocentrisme, nous mettons ici les outils et techniques au service des projets culturels en prenant pleinement en compte la réalité des acteurs qui les portent, et des publics qui en bénéficient. 

Nous espérons, par cette plateforme, vous permettre d’appréhender ces multiples enjeux et vous donner les clefs vous permettant de faire vos choix, en pleine conscience et indépendance.

Envie de contribuer ?

Depuis plus de 10 ans, le TMNlab anime une communauté apprenante francophone de professionnels du spectacle vivant pour produire et diffuser une culture numérique responsable. Envie d’en savoir plus ou de contribuer à cette plateforme ? Contactez-nous.