Audience Development VS Art Marketing Une analyse critique par Piotr Firych

Dans un contexte où les institutions culturelles doivent sans cesse adapter leur stratégie face aux mutations du marché, la notion de Audience Development (AD) s'est imposée comme une approche clé pour le développement des publics. Mais cette démarche est-elle réellement distincte du marketing des arts ou n'en est-elle qu'une simple extension ? C'est la question que pose Piotr Firych dans cet article, en mettant en perspective les liens et divergences entre ces deux concepts.

Origines et ambiguïtés du concept d'Audience Development

Le concept d'Audience Development (développement des publics) apparaît dans les années 1980 au Royaume-Uni, influencé par les théories du marketing appliquées aux arts. Il s’agit d’un ensemble de stratégies visant à élargir, diversifier et fidéliser les publics d’une institution culturelle. Pourtant, dès ses débuts, l’AD est souvent perçu comme une version édulcorée du marketing, notamment parce que son ancrage initial repose sur des pratiques marchandes et la segmentation du public.

Firych revient sur les premières définitions de l’AD, notamment celle de Keith Diggle (1984), qui insiste sur la nécessité d’attirer un public varié tout en assurant la rentabilité économique des institutions culturelles. Cette vision, jugée trop mercantile, a conduit certains chercheurs à voir dans l’AD un simple habillage du marketing des arts, sans réelle autonomie conceptuelle.

Marketing et AD : une frontière ténue mais réelle

Si le marketing et l’AD partagent des outils communs (analyse des publics, segmentation, stratégie de communication), l’auteur montre que leur finalité diffère. Le marketing des arts vise avant tout la rentabilité et la satisfaction des consommateurs, tandis que l’AD s’inscrit dans une logique plus large d’intérêt général, intégrant des objectifs sociaux et politiques.

Une étude menée en 2017 dans cinq pays européens montre que la perception de l’AD varie selon les contextes nationaux :

  • En Scandinavie et au Royaume-Uni, où le concept est bien intégré, il est perçu comme une approche globale de gestion des publics.
  • En Italie et en Pologne, plus de 50 % des professionnels interrogés l’associent encore essentiellement au marketing.

Cette disparité illustre la difficulté à dissocier totalement l’AD du marketing, tout en soulignant son évolution vers une approche plus sociale et participative.

Vers une approche stratégique du développement des publics

L’article propose une relecture de l’AD à travers la matrice d’Ansoff, utilisée en stratégie d’entreprise pour définir les axes de développement d’un produit. Appliquée au secteur culturel, cette grille distingue quatre stratégies :

  • Fidélisation des publics existants (même public, même offre)
  • Développement de l’offre (même public, nouvelle offre)
  • Élargissement du public (nouveau public, même offre)
  • Diversification (nouveau public, nouvelle offre)

Cette approche permet aux institutions culturelles de structurer leur stratégie selon leurs objectifs spécifiques, qu’ils soient marchands ou sociaux.

Conclusion : une complémentarité nécessaire

Firych conclut en affirmant que l’AD ne peut être réduit à un simple prolongement du marketing. Certes, il en reprend certains outils, mais il s’en distingue en intégrant une mission d’intérêt général qui dépasse la seule logique marchande. L’AD vise non seulement à élargir les publics, mais aussi à favoriser l’inclusion sociale et à diversifier les pratiques culturelles.

En définitive, cet article met en lumière les tensions entre marketing et AD tout en plaidant pour une articulation stratégique entre les deux approches. Les institutions culturelles doivent ainsi naviguer entre logique marchande et responsabilité sociale pour bâtir une relation durable avec leurs publics.

Piotr Firych est professeur assistant au sein de l'Université Adam Mickiewicz en Pologne.

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