2.13. CRM, DMP, CDP... jusqu’où aller dans la gestion de données ?

Dans cette fiche, on explore les solutions les plus sophistiquées - mais encore émergentes dans le secteur culturel - de traitement de données d'audience et de suivi des stratégies marketing : les Data Marketing Platform (DMP) et Customer Data Platform (CDP).

La révolution numérique a transformé en profondeur la manière dont les institutions culturelles abordent la gestion de leurs publics et a placé la donnée client au cœur de leurs stratégies de développement et de fidélisation.

Dans ce contexte, des solutions de Customer Relationship Management (CRM) se sont progressivement déployées et ont remplacé les traditionnelles bases de données. Une nouvelle génération d’outils bien plus sophistiqués émerge à présent : les Data Marketing Platform (DMP) et Customer Data Platform (CDP). Quels services proposent ces nouvelles solutions ? Quelle est leur plus-value, et sont-elles adaptées aux équipements culturels ? Cet article vise à clarifier ces concepts, expliquer les typologies de données concernées, et montrer comment ces outils peuvent contribuer à une meilleure compréhension et fidélisation des publics.

"Data Marketing Platform" et "Customer Data Platform" : de quoi parle-t-on ?

Pour bien comprendre la portée de ces plateformes, il est essentiel de différencier la Data Marketing Platform (DMP) de la Customer Data Platform (CDP).

Les Data Marketing Platform (DMP) permettent de collecter, de centraliser et d’analyser des données provenant de sources variées et extérieures à l’organisation et qui sont le plus souvent anonymes. Les Data Marketing Platform sont principalement utilisées pour optimiser les campagnes publicitaires et acquérir de nouveaux publics. Elles s'appuient sur des données tierces, agrégées et anonymisées (cookies, informations de navigation, etc.) qui une fois regroupées, créent des segments d'audience. Ainsi, une DMP pourrait permettre à une salle de spectacle de cibler des amateurs de théâtre ayant visité des sites dédiés à la culture ou à la billetterie. Il s’agit ici de développer son audience. 

Les Customer Data Platform (CDP) travaillent à l’inverse uniquement à partir de données propres à l’organisation. Ce sont des bases de données persistantes et unifiées, reposant sur l’ensemble des systèmes de gestion d’une organisation susceptibles de générer des données. Ces CDP collectent ainsi des données de première main* (ou "first-party data") générées par les usagers lors de leur navigation sur Internet, par téléphone ou même en point de vente physique. Une fois unifiées, ces données sont segmentées pour créer des audiences établies selon différents critères. Ces audiences serviront ensuite à l’établissement de la stratégie marketing de la structure.

En quoi les CDP diffèrent-elles des solutions CRM qui sont plus répandues dans les salles de spectacles, et dont l’objectif est déjà d’orienter les actions marketing ?

Un CRM (customer relationship management) ou logiciel de gestion de relation client en français (GRC)  est, on le rappelle, un logiciel destiné à traiter, analyser et réutiliser les informations relatives aux interactions des clients et prospects avec l’établissement (voir 2.04. Que puis-je attendre d’un CRM ?).

On distingue d’ailleurs trois types de CRM (lien externe), qui répondent chacune à des besoins métier spécifiques :

  • Les CRM Sales ou CRM de vente, qui servent à accompagner et automatiser les processus commerciaux et notamment à identifier des prospects (futurs spectateurs), de suivre l’évolution du chiffre d'affaires et d’analyser les comportements d’achat notamment). Les CRM de ventes sont les premiers à être apparus et, pour beaucoup de personnes, l'appellation "CRM" correspond à "CRM sales".
  • Les CRM Marketing, dont la fonction principale est d’orchestrer les campagnes et les scénarios marketing. Ces outils permettent de segmenter ces cibles, de personnaliser ses messages, d’automatiser l’exécution et le suivi des campagnes multicanales. On parle aussi de "marketing automation" ou de "plateformes marketing" pour décrire ce type de CRM.
  • Les CRM Service client, qui sont dédiés à la gestion des interactions avec les spectateurs après l’achat. Ils centralisent les demandes entrantes et fournissent des indicateurs pour piloter la qualité de service. Ils peuvent aussi être utilisés pour gérer des campagnes d’appels. Ces CRM sont beaucoup moins courants dans le secteur culturel, nous en observons uniquement l’usage dans des structures de taille importante.

Dans le spectacle vivant, les CRM Sales sont parfois intégrés aux logiciels de billetterie. Certaines solutions se positionnent comme intermédiaires entre le logiciel de billetterie et une solution CRM Marketing. Enfin, d’autres CRM proposent des fonctionnalités intégrées au sein d’un seul et même outil. En bref, les CRM du spectacle vivant traitent principalement de données de billetterie et d’emailing.

Les CDP permettent donc d’intégrer et de consolider davantage des données. d’aller plus loin dans la connaissance de ses spectateurs, partenaires comme de ses prospects, d’approfondir et déployer sa stratégie marketing.

La "Customer Data Platform" permet le suivi des performances ainsi que l'unification des données client pour une vision 360° et ultra-personnalisée.

Avantages et inconvénients de la "Customer Data Platform"
AvantagesInconvénients
Consolide toutes les données client (online & offline, multi-device).Complexité technique (connecter toutes les sources, structurer les données).
Permets des analyses avancées (segmentation, ultra-précise, LTV, churn…).Coût plus élevé qu’un CRM si besoin de nombreuses intégrations et activations.
Meilleure personnalisation et automatisation des campagnes.Adoption plus complexe, car nécessite des compétences data et marketing avancés.
Améliore la mesure de l’impact des actions marketing (attribution des conversions).Peut être surdimensionné si la volumétrie de données est faible.
Automatisation des activations marketing.

Quelles données utilise-t-on dans une CDP ou une DMP ?

Comme nous l’exposions en introduction : la différence majeure entre CDP et CMP repose sur l’origine des données. Une CDP consolide l’ensemble des données dans l’institution est propriétaire ("first party data") et une DMP intègre des données tiers ("third party data").

Représentation du chevauchement des données CDP et DMP.

Pour mieux comprendre cette notion de donnée de première et seconde main, nous vous invitons à consulter la fiche consacrée à ces notions, intitulée "Demain, un monde sans cookies ?" (fiche 40).

Typologies de données traitées

Les DMP et CDP s’appuient sur des types de données variés :

  1. Données comportementales : ces données incluent l'historique de navigation sur les sites web, les pages consultées, les newsletters ouvertes, les clics, les interactions sur les réseaux sociaux. Par exemple, analyser la manière dont les spectateurs naviguent sur un site de billetterie permet de comprendre ce qui les intéresse de manière plus transverse et fine que la seule étude des historiques de consommation.

  2. Données transactionnelles : elles concernent les achats de billets, les abonnements, les dons, les réservations en ligne, etc. Ces données se révèlent précieuses dans l’identification des habitudes d'achat : fréquence des visites, types de spectacles préférés, participation à des événements hors programmation (ateliers, conférences...).

  3. Données sociodémographiques : informations sur l'âge, le sexe, la localisation géographique, les catégories socioprofessionnelles. Ces données permettent de segmenter le public et de mieux comprendre les profils des spectateurs.

  4. Données d'engagement : il s'agit des interactions directes avec les spectateurs, que ce soit via des campagnes emailing, des enquêtes de satisfaction, des interactions sur les réseaux sociaux ou même des feedbacks après les spectacles.

CDP ou DMP : quelle solution selon quels objectifs ?

DMP et CDP, des outils complémentaires… mais émergents ?

Si les DMP sont utiles pour attirer de nouveaux publics via la publicité ciblée, les CDP jouent un rôle central dans la fidélisation en s'appuyant sur une meilleure connaissance des spectateurs. Ces outils ne servent donc pas le même but, et n’exploitent pas les mêmes données.

Prenons l’exemple concret d’un équipement culturel qui organise sa nouvelle saison et souhaite attirer de nouveaux spectateurs, tout en fidélisant les habitués.

  • Grâce à une DMP, il pourra identifier et cibler, via des campagnes publicitaires, des profils d'internautes qui partagent des intérêts pour le théâtre et la culture, mais qui n'ont jamais assisté à un spectacle dans ce lieu.
  • Avec une CDP, ce même théâtre pourra segmenter ses spectateurs existants pour personnaliser ses communications : par la finesse de sa segmentation, il permettra d’identifier les spectateurs correspondant à un même comportement d’achat.

Les différences entre ces deux outils se concentrent principalement sur la nature des données, leur durée de la conservation et le caractère anonyme ou nominatif des données : ces solutions n’exploitent pas le même type de données, les DMP utilisant principalement des données tierces et anonymisées, quand les CDP travaillent à l’agrégation de données récoltées par l’organisation concernée. Ces solutions ne conservent pas non plus ces données de la même manière : les CDP les conservent et exploitent au long cours, puisque leur principe même est de dégager de la connaissance au travers de l’agrégation de ces données ; tandis que les DMP les exploitent sur un temps limité de quelques mois.

Mais ces outils requièrent plusieurs choses : des ressources humaines pour en définir le pilotage et les utiliser, des ressources financières pour les déployer, des sources de données à exploiter. Ces sources et ressources doivent être mises en perspective avec les enjeux de développement qui en sont attendus. C’est pourquoi, à ce jour, l’usage de ces plateformes est encore relativement rare dans le secteur culturel, du fait de la taille restreinte des structures, donc des équipes, et des budgets limités. Les seuls projets de déploiement de CDP que nous avons observés sont portés par des institutions majeures (Opéra de Paris et Théâtre National de l’Opéra Comique en France, Théâtre National de Zagreb en Croatie…).

Sans pour autant acquérir ces outils, les structures de taille plus modeste peuvent en adopter les logiques. Il est tout à fait possible d’appliquer des processus raisonnés, organisés et mesurés sans recourir à ces services avancés. La mise en œuvre d’un CRM (Customer Relationship Management) peut suffire pour une première segmentation du public et une personnalisation des communications.

Une gouvernance affirmée pour un usage éthique et maîtrisé des données

Collecter, analyser et exploiter des données implique de mettre en place une gouvernance stricte. La gestion et l’exploitation de larges volumes de données ne s’improvise pas : elles requièrent une gouvernance solide et un cadre éthique pour garantir une utilisation responsable et respectueuse des informations des spectateurs. Une équipe marketing souhaitant mettre en place de tels outils dans son équipement ne doit pas sous-estimer la complexité de ces projets, et s’y lancer en pleine connaissance des enjeux techniques et réglementaires.

Il conviendra de suivre les quelques principes énoncés ci-dessous (complétés par la fiche 9 consacrée à la réglementation applicable aux données en Europe) :

  1. Établir une charte des données : avant de se lancer, il est essentiel d'établir une charte définissant les règles de collecte, d'utilisation et de conservation des données spectateurs, en accord avec les principes du Règlement Général sur la Protection des Données (RGPD).

  2. Nommer un référent données : pour assurer la cohérence du projet, un délégué à la protection des données (DPO) doit être nommé. Son rôle est de piloter la stratégie de gestion des données, de veiller à la qualité des données collectées, et d'assurer une formation continue des équipes.

  3. Miser sur la transparence : la confiance des spectateurs repose sur une gestion éthique des données. Il est crucial de communiquer explicitement sur les données collectées, leur utilisation, et d'offrir des options de consentement et de désinscription claires.

Pour aller plus loin

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