Bien que les usages du numérique se déploient largement et que leur invocation soit globalement encensée, il en est pour qui le numérique est une charge plus qu’un confort supplémentaire. Dans un rapport datant de juillet 2024, 23% des ressortissant.es de l’Union européenne déclaraient que le numérique rend leur vie plus difficile au quotidien. Une part non négligeable de la population européenne est même en situation d’illectronisme, c’est-à-dire d’une incapacité à utiliser les outils numériques. Ce niveau s’accroît fortement avec l’âge et il est plus répandu parmi les couches les plus modestes de la société. Il est aussi très différent d’un pays à l’autre. Ainsi, quand, en 2022, seulement 1% de la population norvégienne déclare ne s’être pas connectée à Internet depuis trois mois1, ils et elles sont 13,9% en France (en 2021)2, et ce malgré une baisse de 3 points pendant la crise sanitaire. Étonnamment, cette part est quasiment aussi importante que celle des individus appartenant au “tout-numérique”. La Bulgarie enregistre pour sa part le plus faible taux d’usagers d’Internet avec 20% de la population qui ne s’y sont jamais connectés, contre 12% en Croatie3.
Alors, pourquoi s’intéresser à ces statistiques ? Parce qu'il est essentiel de comprendre ces transformations pour parvenir à toucher tous ces publics auxquels un projet culturel public se doit de s’adresser. C’est pourquoi il est si important pour les projets culturels de prendre la mesure des évolutions provoquées par l’arrivée massive du numérique, d’une part, et d’orienter leur adresse aux publics en conséquence. Ces transformations du public demandent aux équipes de médiations, d’accueil, de relations aux publics de faire évoluer leurs pratiques en conséquence pour développer ou maintenir un contact avec le public quelle que soit l’intensité de ses pratiques numériques. En effet, les pratiques de réservation et d’inscription restent hétérogènes au sein du public d’un établissement, et lorsque certaines typologies d’individus n'interagissent plus que par la voie numérique avec un établissement culturel, d’autres maintiennent des usages purement traditionnels, à l’instar de l’abonnement par courrier, de la fréquentation des guichets de salles de spectacle ou du renseignement téléphonique. C’est bien dans la perspective des droits culturels qu’il s’agit ici, dans le même temps, de développer des formes de médiation numériques adaptées aux individus pleinement plongés dans les outils numériques et d’en trouver d’autres pour celles et ceux restés “en-dehors” de ce monde numérique. Une structure pourra ainsi développer “des communications via les réseaux sociaux, de la médiation avec les tablettes ou les smartphones, des visites virtuelles, de la production de ressources en ligne, de la médiation numérique dans les lieux culturels.” (Vergès & Picard, 2023) Mais elle devra également déployer d’autres méthodes de médiation en dehors du monde numérique pour intégrer les autres.
1 ICT usage in households, Statistics Norway, updated september 24th
2 "15 % de la population est en situation d'illectronisme en 2021”, Insee Première n°1953 paru le 22 juin 2023
3 Digital economy and society statistics - households and individuals, Eurostat, April 24