Comment j’ai découvert que les balletomanes pouvaient aussi aimer l’opéra

Retour d’expérience de Cyrielle Mailhan, cheffe de projet marketing data et innovation, à l’Opéra de Paris. Elle a coordonné et accompagné la bascule de l’Opéra vers une CDP (Customer Data Platform).

Renforcer notre autonomie financière et mieux répondre à notre mission culturelle

En 2021, nous avons, comme tout le monde, subi la déflagration du COVID. Cette difficulté à re-remplir les salles, s’est ajoutée au sujet existant d’attractivité des spectacles lyriques et à une baisse tendancielle des subventions publiques. Ce contexte a poussé l’Opéra de Paris à renouveler sa stratégie d’audience : Comment mieux remplir nos salles et développer nos recettes de billetterie ? Comment améliorer le parcours client et favoriser des ponts entre les différentes activités de l’Opéra (spectacles d’opéra, de ballet, visites du Palais Garnier, etc.) ? Comment aller chercher chaque année la moitié de notre public (51% du public de l’Opéra vient pour la première fois) ? Comment répondre à notre mission culturelle (contrat d’objectifs signé avec l'État : jeune public, personnes en situation de handicap, public issu des quartiers politiques de la ville, etc.) ?

Nous avions à la fois un sujet de volume (250 000 places à vendre chaque année) et de ciblage de publics spécifiques : nouveaux acheteurs, âge, géographie, préférences, etc. Nous avons alors commandé une mission de conseil qui nous a conduit à mettre en place une CDP (Customer Data Platform). Il s’agit de la solution Imagino associée à Imagino Campaign, un outil d’automatisation de campagnes marketing qui est venu remplacer notre outil préexistant (Selligent). Imagino est connecté à notre outil de billetterie (Secutix).

La migration vers Imagino : un déploiement et un apprentissage progressifs

Avant d’entériner ce choix, nous avons réalisé un POC (Proof of Concept) d’avril à mai 2023 afin de tester Imagino sur nos cas d’usage. Nous avons expérimenté trois scénarios : une campagne de marketing direct/retargeting, un ciblage sur Meta et un projet de tableau de bord dynamique. Seul le premier scénario a été concluant pendant le POC. Nous n’avons pas abandonné les deux autres, mais nous les explorerons dans un second temps. Nous avons alors déployé l’outil avec les équipes d’Imagino et notre intégrateur, KPC Consulting, qui connaissait nos outils préexistants et la structure de nos données. La CDP est totalement opérationnelle depuis décembre 2024.

L’apport principal de la CDP est de connecter les données de billetterie aux données de navigation du site Internet de l’Opéra. Cette vision unifiée billetterie/site nous donne la possibilité d’affiner nos ciblages et nos campagnes marketing. Nous pouvons, par exemple, cibler tous les visiteurs de la page présentant Il Trittico de Puccini, en excluant nos abonnés, les personnes ayant déjà acheté ce spectacle ou ayant été touchées par une grève récemment et leur proposer une offre adaptée à leur historique d’achat. Par exemple, s’il ne reste que des places chères, nous enlevons les « petits paniers » du ciblage ou leur proposons une offre promo. Imagino nous permet de construire des agrégats de données à l’aide de toutes sortes de formules afin d’envoyer une information aux personnes réellement susceptibles d’acheter. Et les résultats sont là, nous avons un taux de conversion 6 fois supérieur à nos anciennes campagnes avec le combo « email + SMS + offre ».

Cependant, le taux de renouvellement des publics limite la capacité prédictive d’Imagino, il est, en effet, peu pertinent de réaliser des prédictions sur la base d’un seul achat. Pour pallier ce manque d’historique d’achats et enrichir globalement la collecte de données, nous envoyons un questionnaire aux spectateurs le lendemain d’un spectacle afin de sonder à chaud leur satisfaction et en apprendre davantage sur leurs préférences. Nous avons , par exemple, découvert que la majorité des spectateurs du ballet Onéguine de John Cranko était intéressée par la version opéra de Piotr Ilyitch Tchaïkovski qui était programmée quelques mois plus tard. Ces données supplémentaires nous ont permis de créer un scoring d’intérêt pour le ballet ou pour l’Opéra, avec cinq niveaux de profils : only opera lover, only ballet lover, ballet et opera lover, etc. Avant, nous ne serions pas allés chercher un public « ballet classique » pour leur vendre des places d’opéra, aujourd’hui, nous avons convaincus certains balletomanes un peu ouverts à découvrir Manon de Jules Massenet, un opéra qui intègre un peu de ballet, en leur proposant une remise commerciale qui leur était spécifiquement adressée. L’ensemble de ces données (billetterie / vente / satisfaction et intérêt) nous permet donc de récolter des faisceaux d’indices (angles dramaturgiques, chorégraphiques, mise en scène, interprètes...) pour trouver les profils les plus adéquats en fonction de la programmation.

Résultats et perspectives

Cette attention aux données et à leur collecte nous a permis d’améliorer globalement le parcours client : agrégation des canaux de vente (téléphone, mail, site, réseaux sociaux), envoi automatisé d’information quelques jours avant le spectacle (bon jour, bon billet, bon endroit), taux de satisfaction et préférences. Ce pilotage par les données a eu un effet très positif sur la billetterie mais aussi sur la gestion des flux pour les équipes d’accueil (moins de retardataires, moins d’objets interdits à l’entrée en salle, etc.). Il existait déjà une culture des données à l’opéra de Paris, mais nous avons passé un pallier et l’outil intéresse de nombreux services à l’Opéra. Les données sont, par exemple, utilisées en comité de direction pour déterminer le calendrier idéal de la programmation, pour anticiper le potentiel de public en fonction du spectacle proposé et pour mieux séquencer dans le temps les spectacles moins accessibles ou plus difficiles à vendre à notre public habituel.

L’acceptation de la CDP par les équipes de l’opéra a été facilitée par le soutien d’Alexandre Neef, le directeur de l’Opéra de Paris, partie prenante de cette nouvelles stratégie d’audience, et par la réalisation du POC. Le POC a, en effet, convaincu l’équipe de l’utilité de l’outil pour nous aider à atteindre nos objectifs. Imagino a l’avantage aussi d’être plus intuitif dans son utilisation que nos outils précédents, ce qui lève un frein important. Autre élément de succès : le rôle de l’intégrateur, KPC Consulting, qui a fait le lien avec les équipes d’Imagino. Sa capacité à produire rapidement des premières maquettes d’interface a permis de rendre les choses concrètes pour les équipes de l’Opéra. Mon rôle est aussi central dans cette mise en place, étant l’interface entre l’outil et les équipes de l’Opéra (vulgarisation de l’outil, aide à son utilisation, etc.). Enfin, le déploiement de la CDP a bénéficié de la mobilisation de plusieurs services, en plus du service marketing dont je fais partie : une personne ressource à la DSI, une autre au service technique de vente et une autre encore au service juridique pour appréhender les questions RGPD.

Aujourd’hui, la CDP est une évidence pour nous, mais elle a un coût (licence annuelle, implémentation, maintien/développement, coût RH dédié) que nous prévoyons d’amortir au bout de trois ans et que l’Opéra peut se permettre en raison de sa surface financière (budget de 250 millions d’euros). Imagino a répondu à nos enjeux de volume et d’automatisation, mais ce n’est pas forcément le bon outil pour toutes les structures culturelles.

L’Opéra de Paris est un ovni dans le paysage culturel français avec un budget annuel d’environ 250 millions d’euros, incluant 72 millions d’euros de recettes de billetterie et 13 millions d’euros de recettes touristiques liées aux visites du Palais Garnier. Au total, l’Opéra Bastille et le Palais Garnier accueillent près de 2 millions de personnes chaque année. La moyenne d’âge de l’ensemble des spectateurs est 46 ans, et de 56 ans pour les abonnés.

Quelques chiffres de l'Opéra de Paris, France (en 2025)

EquipeBudget annuelFréquentation
1 895 personnes250 millions €2 millions de billets

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