1.03. Quelles sont les pratiques data dans le spectacle vivant ?

Par ici, on propose un état des lieux sur les pratiques de gestion et d’exploitation de la donnée dans le spectacle vivant. Cette fiche s’inscrit à la suite de celle intitulée « Quels enjeux sociétaux entourent la donnée ? (lien externe) » que nous vous conseillons de lire préalablement pour une compréhension plus exhaustive du sujet.

Le spectacle vivant est traversé par les mêmes enjeux de gestion de données que tout autre secteur d'activité : il doit en assurer la bonne circulation, en faire un usage efficace, et en garantir la protection pour ce qui est des données personnelles, comme le réclame la réglementation européenne (voir fiche consacrée (lien externe)). Des données circulent dans tous les services et sont générées par l'ensemble de l'activité. La billetterie produit des données d'audience et gère des données de programmation, l’administration des données RH, la comptabilité des données comptables et financières...

Comme dans de nombreuses autres activités, ces données sont mobilisées pour un large éventail d’actions. Elles sont un appui pour les tutelles dans leur évaluation du projet. Elles sont mobilisées lors de déclarations sociales ou relatives au droit d’auteur. Elles sont une aide précieuse au pilotage (lien externe), car elles permettent de prendre du recul sur les actions menées et de les ajuster au quotidien. Ces données peuvent enfin servir à établir une stratégie de marketing relationnel, ou à ajuster les actions de commercialisation. Tous ces usages supposent une circulation efficace de cette donnée.

Des méthodes et techniques communes, des objectifs spécifiques

En matière de données d’audience, le spectacle vivant s'appuie sur des outils semblables aux autres secteurs : solutions d’emailing, tracking de site web, commercialisation en ligne, CRM… Si certaines solutions logicielles sont spécifiques au secteur, les méthodes et techniques qui les régissent sont communes aux autres secteurs d’activité. Des fiches dédiées présentent d’ailleurs les actions que l’on peut mener ou services que l’on peut attendre d’un logiciel de billetterie (lien externe), d’une part, et d’un CRM (lien externe) d’autre part. 

S’agissant des actions de marketing qui nous intéressent plus précisément dans ce projet, il est à noter que les mécanismes et outils de marketing employés dans le spectacle (tunnels de conversion (lien externe), stratégie SEO (lien externe), segmentation d’audiences (lien externe), publicité en ligne (lien externe)…) sont également les mêmes que n’importe quel autre secteur. Les usages qu’en font les opérateurs culturels sont en revanche plus spécifiques. En effet, le spectacle vivant, à plus forte raison lorsqu’il est soutenu par la force publique, poursuit un objectif d’intérêt général : celui de la mise en œuvre de la diversité culturelle sur le territoire. 

À l’intérieur même du spectacle vivant, les usages de la donnée peuvent aussi varier d’une structure à une autre en fonction de ses moyens, de ses objectifs et enjeux en termes de remplissage ou de développement de public. Nonobstant ces différences, beaucoup de bonnes pratiques valent d’être partagées. 

Concrètement, de nombreux établissements sont encore frileux quant à la mise en œuvre d’une stratégie liée à la donnée d’audience — et d’une stratégie marketing plus généralement — même si dans les faits, de nombreux usages sont déjà mis en place par les professionnels sur le terrain, parfois artisanalement. Cette réticence est liée à la perception de ce qu’est le marketing, mais également au manque de formation, d’outil et de ressources pour y travailler. 

L’attitude des professionnels par rapport aux données a très largement évolué ces dernières années. S’ils ont tout d’abord manifesté une certaine défiance devant ces nouvelles méthodes de travail, ils comprennent de mieux en mieux la valeur qu’ils peuvent tirer de l’exploitation des données pour les assister. Les débats consistants à opposer des approches intuitives (où la qualité artistique prime) à des approches fondées avant tout sur les données (data-driven) sont de moins en moins nombreux, au fur et à mesure que la maturité sur le sujet se développe.

Julie Knibbein "Musique et données, de la recherche aux usages", CNM Lab

Une offre de formation aux enjeux marketing et data trop rare dans le spectacle vivant

Au sein des équipements, les données d’audience sont généralement gérées par les équipes billetterie, parfois communication, ou marketing quand la fonction existe dans l’organisation. Néanmoins, le sujet Data ne fait généralement pas partie de leur formation :  il n’existe d'ailleurs pas de formations initiale à la gestion de la billetterie, et de manière plus générale les formations en communication culturelle incluent rarement les questions de marketing et de data. 

C’est pourquoi les équipes en place se forment le plus souvent sur le tas, en autodidacte, à travers leur veille ou par l'échange entre pairs. Si cette méthode permet de développer des pratiques véritablement adaptées au secteur, elle est susceptible de ralentir la montée en compétence technique.

D’autres professionnels plus rodés à la gestion de données existent. Ils proviennent alors le plus souvent d’autres secteurs professionnels, comme le sport dont de nombreuses pratiques professionnelles sont transposables au champ culturel, ou sont formés au sein d'écoles de management ou de commerce généralistes. La question dès lors est plutôt celle de construire une culture commune entre ces professionnels et les équipes en place, entre culture de la donnée et culture des arts vivants.

On observe ainsi des pratiques extrêmement variées autour de ces questions de données, parfois matures, parfois en construction. Par ailleurs, beaucoup d'actions bien en place dans les lieux et relevant du marketing de la donnée ne sont pas perçues ni pensées comme telles par celles et ceux qui les pratiquent... Le risque ? Les actions sont isolées, moins efficaces et souvent moins cohérentes. La clé ? Construire une stratégie structurée et transversale au sein des équipes.

De nombreux défis subsistent notamment en termes de formation du personnel aux compétences d’analyse, de ressources humaines et de capacités techniques et financières. Une fois les données récoltées, le manque de personnel entraîné à traiter, à « lire » et à interpréter celles-ci empêchent les organismes de tirer pleinement parti de leur travail passé. Des formations générales et personnalisées et plus de ressources financières sont les solutions soulevées afin d’optimiser l’exploitation du potentiel des données par les organismes culturels.

Synapse C (Québec)in "Arts de la scène : la donnée, un outil de résilience", partie 2, 26 mars 2024

Quelques structures et projets pilotes qui expérimentent

Bien qu’elles soient peu nombreuses à le mettre en avant, bien des structures expérimentent des usages approfondis de la donnée client, en s’efforçant d’être créatives pour articuler leur mission de service public avec des enjeux plus larges de marketing et de pilotage par la donnée.

L’Opéra de Paris a, par exemple, pris un rôle de fer de lance, en collaborant avec Secutix, éditeur suisse d'un logiciel de billetterie performant, mais inadapté à leurs pratiques spécifiques, et lui a fait développer ses fonctionnalités pour intégrer les usages du secteur. Ce faisant, il a contribué à intégrer cet acteur sur un marché national, bénéficiant ainsi à l'offre concurrentielle pour les institutions.

On observe aussi des regroupements d’organisations qui s’unissent pour pouvoir développer des solutions de gestion de données ou de commercialisation selon leurs critères, et dans une logique de solidarité financière permettant aux plus petits équipements de bénéficier du même niveau de service que les autres. C’est le cas des scènes de musiques actuelles et de l'une de leurs associations professionnelles, la Fedelima, qui se sont réunies au sein du GIE SoTicket. Ce dispositif permet à sa cinquantaine de clients d’accéder à des solutions beaucoup plus adaptées et dont les développements pour répondre à leurs besoins sont plus rapidement aboutis. En outre, cette formule a assuré l’embauche d’une équipe qui assure la formation et la montée en compétence des personnes qui coopèrent au projet. 

Citons enfin l’exemple de la plateforme DIP au Danemark, produite par un regroupement de trois associations de professionnels du spectacle vivant. Ensemble, ils ont développé une infrastructure numérique centralisée permettant d’automatiser des tâches administratives et de collecter des données selon des standards communs et de les analyser pour en faire bénéficier l’ensemble des parties prenantes.

Et moi, est-ce que je produis des données ?

Les lieux génèrent beaucoup de données au travers de l’ensemble de leurs activités. Du logiciel de billetterie au CRM en passant par la comptabilité, les ressources humaines, etc. Les données produites par les lieux sont de nature financière, relèvent de la fréquentation, ou encore de la programmation. 

Il existe encore des structures n’ayant pas déployé de solutions logicielles et qui, de fait, n’ont pas non plus structuré informatiquement leurs données - par exemple en billetterie ! Mais cette situation a néanmoins tendance à disparaitre du fait de l’apparition de solutions gratuites ou très accessibles. Ces services d’entrée de gamme ont facilité l’accès à des outils structurants.

Il s’agit donc dorénavant de bien identifier, structurer, gérer et mettre à jour vos propres jeux de données, et de travailler à les rendre potentiellement interopérables ou à les mutualiser — entre plusieurs services, structures, territoires... 

Vous devez déterminer une politique des données à l'échelle de votre établissement. Dans une société transformée par la donnée et les algorithmes, ces questions sont trop importantes pour rester impensées. Outil de travail, aide au pilotage, levier économique... C’est aussi un enjeu de positionnement politique que de pouvoir être à la hauteur des enjeux sociétaux qui entourent la donnée.

Le secteur du spectacle vivant fait face à des défis uniques, également liés à la propriété et au partage de données entre acteurs, et aux problématiques techniques, politiques et réglementaires qui y sont associées, comme la protection des données personnelles. En effet, les données spécifiques aux métiers du spectacle vivant comme la vente de billets, la capacité d’accueil des salles, les historiques de vente, etc., sont souvent fragmentées entre de multiples acteurs et plateformes (plusieurs plateformes de billetterie, plusieurs salles, différents outils CRM, etc.).

Julie Knibbein "Musique et données, de la recherche aux usages", CNM Lab

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